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L'EVOLUTION MATERIELLE — LES CINQELEMENTS
Mais la Matière que nous voyons n'est que la couche et le revêtement les plus superficiels ; derrière se trouvent les degrés plus subtils de la substance physique qui sont moins denses, moins alourdis par la nescience atomique, et il est plus facile pour la Vie et le Mental d'y pénétrer et d'y agir. Si des couches invisibles plus subtiles n'existaient pas pour soutenir le monde physique visible et grossier, ce monde ne pourrait perdurer ; car alors les opérations subtiles qui établissent des liens entre l'Esprit et la Matière ne pourraient être exécutées ; or ce sont elles qui rendent possibles les opérations visibles et rudimentaires. L'évolution serait impossible ; la vie et le mental et ce qui est au-delà du mental ne pourraient se manifester dans l'univers matériel.69
Le premier pas est donc de passer par derrière les formes de la Matière, les formes de la vie, les formes du Mental et de retourner à ce qui est le plus essentiel, le plus réel, le plus proche de l'entité véritable.70
L'éther, le ciel ou cosmos, donne naissance à l'Air ; sans Air il n'y a point de Feu ; sans l'Air et le Feu, l'Eau est infirme ; sans Air, le Feu, l'Eau et la Terre (la matière ou corps) n'auraient pu naître.
L'état premier et originel de la matière subtile est le pur « éthéré » ; ses principales caractéristiques sont une extrême ténuité et une extrême expansivité, et sa propriété sensible est le son. Le son, si l'on en croit les sages védiques, est la première propriété qu'ait développé la substance matérielle ; il précède la forme et il a le pouvoir aussi bien de la créer que de la détruire. Cherchant dans l'immensité de l'univers physique une substance dotée de ces propriétés, les Rishis la découvrirent dans Akash ou Vyoma (le ciel), qui ne correspondait pas à notre atmosphère physique mais à ce qui à la fois la transcende et l'emplit : une substance partout répandue, subtile, reliant toutes choses et en laquelle, pour ainsi dire, l'univers entier flotte. Aussi donnèrent-ils à cet état éthéré de la matière le nom de Akash. L'état suivant de la matière qui ait évolué à partir de l'Ether et qui se meut en lui, est l'état aérien pur ou gazeux. Ici, à la diffusion vient s'ajouter un nouveau pouvoir de mouvement sensible et varié qui devait s'accompagner — ce qui est inévitable quand un mouvement se complexifie — d'une différentiation et d'une complexité accrues de la substance. Tous les aspects et les développements de la matière gazeuse, avec leurs activités, leurs fonctions et leurs combinaisons particulières, ont pour substrat ce
second état ou pouvoir de la matière ; c'est aussi la base du Prâna universel ou énergie vitale, qui part de l'action, de la rétention et de la réaction et culmine dans la conscience organisée. Dans la théorie védique du cosmos, nous l'avons vu, Prâna est un pouvoir d'une suprême importance. Au sein de ce second pouvoir de la matière, une nouvelle propriété de la substance matérielle se développe : le toucher ou contact, qui n'était pas encore pleinement développé dans le pur éther, en raison de l'extrême ténuité et de la simplicité essentielle de sa substance. Se mettant en quête d'une substance physique qui fût de nature gazeuse, sonore et tactile, mais sans forme et dont les traits principaux seraient un mouvement varié et une diffusion imparfaite, les Rishis la trouvèrent en Vayou, le Vent ou Air. Vayou est donc le terme consacré désignant ce deuxième état de la matière. Le troisième état, l'état igné pur, a évolué à partir de l'état gazeux pur et se meut en lui ; on l'appelle aussi Tejah, la lumière ou énergie calorifère. Dans l'état igné, la diffusion devient moins subtile encore, le mouvement sensible n'est plus la caractéristique prédominante, mais l'énergie, notamment l'énergie formatrice, atteint ici son plein développement : création et destruction, formation et re-formation sont enfin prêts à se manifester. Outre le son et le contact, la matière a désormais développé une troisième propriété, la forme, qui ne pouvait se développer pleinement dans l'Air pur parce que celui-ci n'est pas suffisamment dense, et que les manifestations gazeuses sont trop vagues, volatiles et insaisissables. Ce troisième pouvoir de la matière est à la base de tous les phénomènes de lumière et de chaleur ; grâce à lui, Prâna se développe au point que la naissance et la croissance deviennent désormais possibles, car la lumière et la chaleur sont les conditions nécessaires au développement de la vie animée et, quand elles sont absentes, se produit le phénomène de la mort, ou de
l'existence inerte ou inanimée : quand l'énergie de la lumière ou de la chaleur quitte un homme, dit l'Oupanishad, alors le Prâna, l'énergie vitale, se retire dans le mental, dans son élément subtil ou psychique, et quitte le corps physique. La substance physique qui, aux yeux des Rishis, caractérisait l'état igné était le Feu, car il est sensible aux trois niveaux du son, du contact et de la forme et, moins diffus que l'air, se distingue par l'extrême énergie de sa lumière et de sa chaleur. Le Feu est donc le terme conventionnel et symbolique désignant le troisième pouvoir de la matière. Après l'état igné, vient l'état liquide ou fluide ; moins diffus, moins libre dans son mouvement, moins énergique, il se distingue surtout par une sorte de compromis entre la fixité et la volatilité. Dans cet état, la matière développe une quatrième propriété : le goût. L'état liquide forme le substrat de toutes les formes et activités fluides, et grâce à sa relative fixité, la vie, pour la première fois, peut se développer dans un milieu suffisamment stable. Toute vie est issue et recueillie des « eaux » et dépend, pour survivre, du principe fluide qui l'anime. L'eau — qui est le fluide par excellence, à demi volatile, à demi fixe, perceptible par le son, le contact, la forme et le goût — est l'appellation symbolique de ce quatrième état de la matière. L'état solide est le dernier à se développer dans cette progression du plus ténu au plus dense, car dans cet état la diffusion atteint à son expression la plus réduite et la fixité devient prédominante. C'est le substrat de toutes les formes et corps solides et la dernière condition indispensable au développement de la vie ; cet état lui fournit en effet une forme et un corps fixes dans lesquels elle peut se perpétuer et se manifester progressivement, et dont elle fait un organisme. Cette dernière propriété de la matière développée dans l'état solide, est l'odeur ; et comme la terre constitue la substance solide typique, dotée des cinq propriétés du son, du contact, de la
forme, du goût et de l'odeur, on a choisi de donner le nom de Terre à ce cinquième pouvoir de la matière.
C'est seulement dans le monde de la matière subtile que ces cinq états élémentaires se trouvent dans toute leur pureté, dotés de leurs qualités propres, distinctes et sans mélange. Les cinq états élémentaires de la matière grossière sont impurs ; ils ont été formés à partir de la matière subtile par la combinaison des cinq éléments subtils, selon certaines proportions déterminées, et chacun reçoit un nom particulier — éther, air, eau, feu ou terre — selon que l'élément subtil éthéré, gazeux, igné, fluide ou solide domine complètement les autres. Mais même l'état ultime et le plus subtil en lequel la matière grossière peut se réduire, n'est pas le terme final ; lorsqu'il est réduit en ses éléments constitutifs, ce terme « ultime » de la matière grossière se désintègre et la matière atteint alors un niveau où nombre des lois les plus impérieuses et inexorables de la physique deviennent inopérantes. C'est à ce stade, où l'analyse chimique et le raisonnement ne peuvent plus suivre la Nature jusque dans ses derniers retranchements, que le système de yoga développé par les hindous prend le relais : franchissant la limite des cinq Prâna ou souffles vitaux grossiers dans lesquels la Vie se manifeste dans la matière physique grossière, le yoga porte plus loin cette quête et cherche à pénétrer les secrets de l'existence psychique dans un monde plus subtil et plus libre.71
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